Mon année 2012

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Cette année 2012 aura été riche en écoute et en (re)découvertes. Trop de disques passionnants auront été publiés pour que je puisse tous les écouter avec l’attention qu’ils méritent. Et en même temps, un chef d’oeuvre (et je ne suis pas le seul à le dire) se détache des autres, tant le voyage dans le son qu’il propose est sidérant d’intelligence et de beauté. Il s’agit de Zero plus Zero de Lucio Capece sur Potlatch qui s’affirme de plus en plus comme un des labels les plus passionnants de la musique improvisée et expérimentale.

La liste suivante contient des disques qui ont été chroniqués ici, d’autres qui ne l’ont pas encore été, qui le seront peut-être un jour ou peut-être jamais, mais qui à mon sens méritent d’attirer l’attention et m’auront durablement marqué cette année.

Eventless Plot – Recon (Aural Terrain) : un trio grec anonyme joue avec les collisions entre électronique et acoustique.

Can – The Lost Tapes (Spoon Records) : la révélation de ces bandes inédites du groupe allemand nous confirme si il y en avait besoin que ces musiciens avaient une énorme longueur d’avance sur la plupart de leurs contemporains.

Oren Ambarchi – Sagittarian Domain (Editions Mego) : un millefeuille envoûtant de rythme et de textures, qui va puiser aussi bien dans le Krautrock que chez Heldon.

– Keiji Haino, Stephen O’Malley & Oren AmbarchiNazoranai (Editions Mego) : quatre faces de free rock incendiaire, entre les hurlements et la guitare de Keiji Haino, la base ronflante de Stephen O’Malley et la batterie furieuse de Oren Ambarchi. Quelque part entre Painkiller et Jimi Hendrix.

300 Basses – Sei Ritornelli (Potlatch) / Cremaster & Angharad Davies – Pluie Fine (Potlatch) / Pascal Battus & Alfredo Costa Monteiro – fêlure (Organized Music from Thessaloniki) : que ce soit à l’accordéon, au papier amplifié ou avec divers dispositifs électroacoustiques, Alfredo Costa Monteiro a livré cette année trois disques superbes, riches de textures envoûtantes.

Robert Turman – Flux (Spectrum Spool / Editions Mego) : de l’ambient lo-fi, quelque part entre Erik Satie et les ruines de l’aéroport de Brian Eno délaissé par les hommes et envahi par une jungle mélancolique. Serait-ce la bande son de la fin du monde des humains ?

Franco Falsini – Cold Nose  (Spectrum Spool / Editions Mego) / Sensation’s Fix – Music Is Painting In The Air (1974 – 1977)  (RVNG Intl) : ces deux rééditions nous révèlent que l’Italie a enfanté en milieu des années 70 de petits cousins du Krautrock allemand. Franco Falsini s’y révèle comme un acteur majeur de l’introduction des synthétiseurs dans le rock.

Jason Lescalleet – Songs About Nothing (Erstwhile) : de la musique punk électroacoustique. Que dire de plus ?

Laurie Spiegel – The Expanding Universe (Unseen Worlds) : magnifique réédition des travaux de cette pionnière américaine de la musique électronique, marquée par Bach et John Fahey.

Eliane Radigue – Feedback Works (Alga Marghen) : Eliane Radigue nous ouvre ses archives et nous emmène loin en arrière, à la fin des années 60, lorsqu’elle n’avait pas encore les moyens d’accéder aux synthétiseurs. Ces travaux réalisés avec peu de moyens ne font que confirmer la stature de cette grande dame.

Sir Richard Bishop – Intermezzo

Publié à l’origine en autoproduction, Intermezzo a été réédité par Stephen O’Malley dans le cadre d’Ideologic Organ, qui tend à devenir une collection de très haute tenue. Il est dommage que ces publications en vinyle soient assez limitées et donc vite épuisées.

Sir Richard Bishop est surtout connu pour avoir été le guitariste des Sun City Girls, groupe désormais dissout pour cause de décès d’un de ses membres.

Protégé par cette pochette ornée d’un gros plan somptueux de l’auteur, se cache un très beau disque de guitare. Neuf pièces variées nous font visiter de nombreux registres de l’instrument. On passera d’un folk classique à un morceau orientalisant ou encore à une évocation de la musique indienne. Tantôt enjoué, tantôt mélancolique, Sir Richard Bishop passera aussi par la case abstraction. Les références sont assez évidentes : John Fahey, Derek Bailey, Eugene Chadbourne…

Le principal écueil eût été pour Sir Richard Bishop de sombrer dans la démonstration gratuite. Quelques minutes d »écoute seulement suffisent à prouver qu’il n’en est rien. C’est avant tout un disque de célébration de l’instrument et de ses maîtres, subtil hybride entre le monde occidental et le monde oriental. La pochette conçue par Stephen O’Malley ne pouvait finalement pas mieux représenter le contenu.

Ideologic Organ / Editions Mego – SOMA010

Keiji Haino, Stephen O’Malley & Oren Ambarchi – Nazoranai


Des titres longs et imagés, des hurlements, une guitare toute en distortion savamment maîtrisée, une tension entretenue sur la longueur. L’amateur de Keiji Haino ne sera pas dépaysé par ce disque.

Ces quatre titres ont été enregistrés en novembre dernier à la Gaîté Lyrique à Paris. Loin de jouer les faire-valoir, Oren Ambarchi (batterie) et Stephen O’Malley (basse), créent une solide assise rythmique sur laquelle le guitariste japonais peut se laisser aller et livrer toute l’étendue de son savoir faire.

Cette dynamique rythmique m’évoque parfois celle du Painkiller de la seconde période, lorsque le trio formé par John Zorn, Bill Laswell et Mick Harris introduisait le dub dans la violence de son hardcore. On est loin ici du hardcore mais force est de constater que O’Malley et Ambarchi ne sont pas des novices en matière de groove, même si le le son reste dans l’ensemble plutôt pesant, ancrant à terre les envolées lyriques de Keiji Haino. Le point d’orgue est atteint lors du quatrième morceau, où le guitariste nous offre un déluge de sons psychédéliques, accompagnés d’une voix qui m’évoque celle de Roger Waters sur Don’t Play with that Axe, Eugene.

Mine de rien, c’est sans doute le meilleur disque de rock que j’ai écouté cette année!

Ideologic Organ / Editions Mego – SOMA009

KTL – V

Comme son nom l’indique, V est la cinquième publication du duo formé par Stephen O’Malley (Sunn o)))) et Peter Rehberg. Ce disque nous propose quatre morceaux en forme de drone, dont trois sont titrés Phill 1Phill 2 et Tony… Les hommages sont ici plus qu’évidents quant à la filliation dont les musiciens se réclament sur cet album. Histoire de ne pas faire les choses à moitié, un autre morceau a été créé et enregistré au GRM.

La pari de l’hommage à ces grands créateurs de sons contemporain fonctionne très bien, car tout en étant proches de leurs modèles, Rehberg et O’Malley arrivent à faire entrer leurs univers personnels dans cette musique. Ordinateurs, guitare et basse parviennent à créer une ambiance envoûtante. Le coup de génie, et l’énorme risque, restera Phill 2 où un orchestre symphonique est convoqué. L’orchestration de Johan Johansson y évite toute lourdeur inutile et parvient au contraire à élever le débat à un niveau qu’on n’aurait pas imaginé dans ce cadre.

Ce disque aurait pu être une totale réussite si il n’y avait pas cette cinquième pièce, créée pour une installation de l’artiste Gisèle Vienne. Ce n’est pas la pièce elle-même, qui a toute sa légitimité en tant que telle, que je critique mais sa présence dans ce contexte qui gâche à mon sens la cohésion de l’album.

Editions Mego – eMego 120

Tremblement de terre

16 juin 2012 : mon premier concert de Sunn O))). Plus d’une heure d’un long drone qui fit trembler toute la Gaîté Lyrique. Même l’air que l’on respirait vibrait. On m’avait parlé d’une expérience autant physique que sonore :  je confirme. Cela m’a rappelé des sensations ressenties entre minuit et une heure du matin, lors de la performance de 24h00 de MIMEO au Festival Musique Action.

Pour ceux qui sont dans la région Nantaise, ils jouent ce soir à HellFest avec Attila Csihar au chant.

Dolmens et Phares



Voici un petit voyage dans une Bretagne fantasmée par Stephen O’Malley (Sunn O))). Ce morceau est bien sûr à écouter avec une bonne sono pour bien en ressentir les infra basses. Il est extrait de  l’excellente Anthology of Noise and Electronic Music – 6th a-chronology, sixième livraison du remarquable travail de compilation effectué depuis plusieurs années par Guy-Marc Hinant du label Sub-Rosa. En voici le tracklisting :

CD 1

01 Israël Martinez Mi Vida (2007) 06:59
02 Ata Ebtekar / Sote Turquoise gas in Ice (2008)
-unpublished 03:36
03 Joseph Nechvatal Ego Masher (1983) 07:05
04 Oliver Stummer + Liesl Ujvary Trautorium Jetztzeit #4
(1930 sound) 03:44
05 Henry Cowell The Banshee (1925>57) 02:23
06 Dick Raaymakers Piano-forte (1959-60) 04:55
07 Manuel Rocha Iturbide Estudio Antimatierico N°1 (1989) 05:02
08 Tetsuo Furudate (2008) unpublished 06:26
09 Kohei Gomi/Pain Jerk Aufheben (1993)-unpublished 06:28
10 Hijokaidan Untitled (1994)-unpublished 11:54
11 Incapacitants Shall we die ? (1990)-unpublished 06:25
12 Torturing Nurse Yes or No (2010)-unpublished 04:49
13 Sachiko M 28082000 (2000) 05:32
14 Ultraphonist How to practice scales (2000) 03:07

CD 2

01 Z’ev 12 november 1980, Melkweg, Amsterdam (1980)
-unpublished 07:31
02 Daniel Menche Fulmination (2009)-unpublished 12:00
03 John Wiese New Wave Dust (2004) 02:25
04 Rico Schwantes/The Pain Barrier Virus (2003) 05:29
05 Julie Rousse Flesh Barbie Techno Fuck (2008) 04:45
06 Bird Palace/Cristian Vogel + Pablo Palacio Phing (2009)-unpublished 04:23
07 Robert Piotrowicz Lincoln Sea Ice Walic (2009)
-unpublished 08:09
08 Tzvi Avni Vocalise (1964) 05:18
09 Else Marie Pade Syv Cirkler (1958) 07:05
10 John Duncan The Nazca Transmissions #2 (2005) 08:10
11 Stephen O’ Malley Dolmens & Lighthouses (2009)-unpublished 06:53
12 Ilios / Dimitris Kariofilis The continuum of emanation from the One (2009)-unpublished 06:06

Sub Rosa – SR290

Valerio Tricoli / Stephen O’Malley & Anthony Pateras – Les Instants Chavirés – 27 février 2011

Cette  double affiche (d)étonnante d’un dimanche soir d’hiver aux Instants Chavirés valait le détour à plus d’un titre. Je n’avais encore jamais entendu parler de Valerio Tricoli et j’étais curieux de me rendre compte de ce que pouvait donner ce duo composé de Stephen O’Malley et Anthony Pateras.

Valerio Tricoli est un musicien italien basé à Berlin , une ville qui, depuis plus une décennie, nous envoie régulièrement de jeunes musiciens d’avant-garde plus prometteurs les uns que les autres (Alessandro Bossetti, Axel Dörner, Annette Krebs, Andrea Neumann…) Il se présente sur scène avec un kit composé d’un Revox (magnétophone à bandes) et d’électronique.

Son set débute par un énorme bruit blanc, qui va rapidement laisser la place à un travail sur la voix. La voix enregistrée, mais aussi la propre voix de Valerio Tricoli, retravaillée en direct, qui va se faire d’abord susurrante, puis plus vindicative. Le substrat sonore va reprendre de l’ampleur pour un final explosif. Une sorte de trame narrative se dégage rétrospectivement de l’ensemble, ce qui laisse penser que le set n’était pas si improvisé qu’on pouvait l’imaginer de prime abord. L’électroacoustique est aussi une manière de raconter des histoires.

Puis vient le tour de Stephen O’Malley (Guitare) et Anthony Pateras (Piano et électronique). On ne présente plus Stephen O’Malley, membre fondateur du fameux groupe de doom Sun O)). Je dois avouer que je n’ai jamais vraiment écouté ce groupe. Il va donc falloir que je m’y intéresse de plus près. Par contre une pièce de musique électronique ambient (dans l’esprit de ce que peut produire Oren Ambarchi) présente sur le sixième volume de « Anthology of Noise and Electronic Music » du label Sub Rosa avait récemment attiré mon attention. Anthony Pateras, lui,  est un pianiste, improvisateur et compositeur australien que l’on a déjà pu écouter aux Instants Chavirés l’an dernier, développant un jeu de piano préparé énergique.

Stephen O’Malley commence par un drone lourd et grave, vite heurté par un cluster de notes frappées sur le piano. Dès les premières minutes, l’ambiance générale est donnée. Le guitariste privilégiera les tonalités basses alors que le pianiste prendra les aigües. Pateras va parvenir à faire entrer son piano en résonance pour superposer un drone à celui de son partenaire. Chacun prendra un solo avant de nous livrer un final explosif. Le volume sonore est monté assez fort, mais pas assez pour que je me résolve à mettre des bouchons d’oreille car j’avais ce soir-là réellement besoin de sentir cette musique vibrer pour l’apprécier pleinement.

Je ne sais pas si ce duo existera sur le long terme mais il a certainement un fort potentiel à exploiter. Pendant ce concert, mon esprit a aussi commencé à imaginer ce même Stephen O’Malley confronté à Charlemagne Palestine. En ont-ils envie ? Cela pourrait-il donner quelque chose d’aussi excitant ? C’est à voir…